Aux dernières châtaignes

 

Immuables, les vagues, d’un clapotis léger, venaient mourir sur les rives de sable blanc, tandis que, sur les rochers qui bordaient la falaise, le ressac provoquait un jaillissement sans fin de mille gouttelettes argentées.
La plage était déserte…
Un homme, d’un pas tranquille, arpentait cet espace… Il tenait dans sa main une longue laisse, où tout au bout, un petit chien roux s’ébrouait, s’agitait, aboyant à tout vent… à la vague, au goéland, qui d’un vol plané le narguait, s’envolant d’un coup d’aile à son approche…
Un peu plus loin, venant en sens inverse, un griffon à poils gris, sans attache, les pas dans les pas de son maître suivait ce dernier rivé à sa marche, dans une entente tacite et de toute fidélité…
Deux races… deux mondes… se dit Pierre, qui avait fini par détacher son cabot.
Celui-ci, d’un bond, comme un éclair, avait couru aussitôt vers le large… On l’apercevait encore, petit point minuscule dans le lointain…
    Pierre se hâta. Il fallait le rejoindre… Un peu de footing dans cet air du large, le mettrait en forme pour la journée…
Il faisait si doux en cette matinée de juillet.
Quelques rayons de lumière arrivaient à percer la brume qui, au lever du jour imprégnait toute chose.
Tout là-haut, la petite maison sur la corniche réapparaissait peu à peu… Trois barques, quelques mètres plus loin, dérivaient doucement…
Bien au-delà, le camping paisible, sans bruit, restait encore endormi à cette heure matinale.
 
 
La rue des Sables Blancs surplombait de quelques mètres les rochers abrupts, au-dessus des remous gigantesques d’un océan immense, grondant, majestueux.
A part ce chemin qui menait à la plage, en bordure des maisons, il n’y avait aucun autre accès. D’ailleurs, un panneau, avec “voie sans issue” l’indiquait à tous les promeneurs égarés en ces lieux.
Les maisons blanches aux toits identiques, s’alignaient côte à côte sur ce même versant. Seule, côté mer, l’une d’elles se dressait fièrement, semblant accrochée à la roche, au-dessus de ce gouffre grondant, jaillissant, venant par grandes tempêtes s’écraser à chaque instant au bas de la falaise, en un jet d’eau fantastique.
Au-delà, la plage immense s’étendait à l’infini… Poursuivant sa route, le chemin des douaniers serpentant sur la lande déserte, suivait son destin, de plages en plages, de ports en ports, où se tenaient amarrées les barques multicolores…
– Toby, Toby ! Ici ! Reviens !…
Rien à faire, le chien ne réapparaissait toujours pas… Mais, où était-il encore passé ?…
À ses pieds, tout en bas, dans la crique, de petites vagues venaient gargouiller au creux du sable, là où les eaux se réchauffaient très vite au soleil.
Étant donné la température clémente, de jeunes enfants s’y baignaient souvent, sous le regard tendre de leur mère.
Mais, aujourd’hui, il ne faisait pas bon se tenir sur les bords. La mer était déchaînée. Toute la nuit la tempête avait agité ciel et terre… De grandes rafales de pluie, ponctuées par un vent violent, faisaient craindre le pire…
Au loin, point de navire…
 
Sur cette crête, les maisons aux couleurs claires, grilles et volets souvent peints en bleu, contemplaient l’océan, entourées de jardinets aux fleurs sauvages.
Les tamaris et les arbustes se pliaient, se penchaient, se tordaient sans jamais se casser. D’ailleurs, leurs troncs déformés par les tempêtes, indiquaient visiblement, qu’ils étaient souvent mis à rude épreuve… Ils restaient définitivement affligés par la courbure imposée par leur maître, le dieu Eole.
C’était payer cher leur contribution, pour ce face-à-face avec les furies de l’océan.
Maintenant la pluie avait cessé.
De larges flaques saumâtres, sur le chemin couleur de craie, absorbaient très vite toute l’humidité.
Pierre fit quelques pas de long en large, histoire de faire passer le temps… Toby, malgré ses appels, ne revenait toujours pas…
Il essaya de se hisser sur le petit mur qui encerclait la maison où avait disparu son chien. Mais il n’y avait pas de passage. Il ne pouvait donc s’y introduire pour aller le chercher…
Il fallait attendre !… 
Le pinscher finirait bien par revenir…I
ll arriverait alors, baissant la tête, sachant qu’il avait désobéi et s’immobiliserait tout contrit à ses pieds…
Désarmé par cette attitude soumise, Pierre se contenterait de raccrocher sa laisse, sans autre punition, en grommelant une semonce…
Il avait du mal à le punir, il est vrai !
Le cabot connaissait bien son maître, alors il recommençait… C’était dans sa nature.
Son odorat particulièrement développé, lui permettait constamment d’être interpellé par son environnement…
Il percevait la présence subtile de tout un chacun : la trace d’un lapin rejoignant son terrier, d’un mulot égaré, ou du chat ennemi… Même un gros insecte pouvait faire l’affaire !
Il pouvait renifler, sentir, jouer, aboyer des heures, devant un pauvre grillon, qui essayait de regagner en vain un abri afin de sauver sa vie.
Pour tromper son impatience, Pierre se mit à siffloter… Parfois Toby y était sensible…
Il y avait maintenant un bon quart d’heure que son chien s’était échappé, sans vouloir tenir compte de ses appels incessants.
Il regarda la petite cour dallée et, sur le bas-côté, au-delà d’un tertre, le vieux rosier près duquel s’érigeaient des herbes folles à l’état sauvage. Plus loin, un taillis épais, dissimulait le bas du terrain.
Que faire ?… Le chien ne revenait pas… Pierre se dirigea vers la grille. Celle-ci était fermée à double tour. Il regarda à droite, à gauche, chercha une possibilité d’en franchir l’espace, mais il ne détecta aucune ouverture possible.

Cette fois, il était bien décidé à lui infliger la correction qu’il aurait bien méritée !… Il consulta sa montre, tendit l’oreille, et entendit farfouiller dans les branches et les feuilles sèches… Il reprit espoir ! Puis plus rien…

 Il appela encore une ou deux fois !
Seul, le bruit de la mer semblait répondre à sa demande, à son angoisse… Il commençait à se demander ce qui avait bien pu arriver à Toby !… 
Habituellement, jusqu’ici, il était toujours revenu… Parfois, il craignait de ne plus le revoir… Aujourd’hui, il dépassait les bornes.
La demeure où son chien s’était immiscé, semblait déserte. Personne ne viendrait à son aide !
Durant les vacances, les hôtes l’investissaient sans doute de rires et d’éclats de voix ?… Mais, pour l’instant, ces lieux silencieux semblaient inhabités.
Soudain, il crut rêver… Une petite fille aux nattes blondes se tenait sur le seuil et descendait les trois marches… Elle était vêtue d’une robe bleue à pois.
– Léonce ou vas-tu ? Où cours-tu si vite ? dit soudain une voix.
La fillette aurait-elle vu Toby ?…
Soulagé, il interpella la jeune femme qui venait d’apparaître.

...

 

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